Le prix mondial d’architecture et de design, le fameux Prix Versailles, catégorie « Gare et station », a été décerné le 12 septembre de l’année en cours à la nouvelle gare ferroviaire de Kénitra. C’est une nouvelle qui fait bomber le torse à toute la profession. Félicitations à notre confrère Omar Kobbité et à ses partenaires Silvio d’Ascia et Erik Giudice, de Paris. O. Kobbité nous fait un grand honneur par cette distinction, il redore le blason, un peu terni, des architectes.
Quand on se lance dans des envolées lyriques, on parle de joyau de l’architecture dans un écrin de verdure ou une sculpture dans le paysage urbain de la ville de …Hélas ! Mille fois hélas ! Ce joyau, la gare, est implanté à Kénitra, à mon grand désespoir.
Kénitra, une si jolie ville, jadis, constituée d’avenues larges, plantées d’arbres, de beaux quartiers de villas fleuris, de son petit centre avec ses cafés, ses cinémas…
Quel crime ont commis les habitants de cette ville pour subir cet urbanisation sauvage, ces immeubles qui poussent comme des champignons en R+6 ou 8 ?
Quels sont les concepteurs de ce plan d’aménagement de 2004 qui ont transformé la ville en grenier à cacher de l’agent dans la pierre ? Avaient-ils des prévisions de croissance sur les 10 ans qui prévoyaient d’en faire une Big Apple des gharbaouis ?
Si on fait une simple estimation de la croissance de la population avec le nombre de logements construits, on va se rendre compte qu’il y a quelque chose qui cloche. Soit Kénitra est devenue la New-York, version cheap du Maroc, soit nous assistons à une des plus grandes dérives urbaines de notre pays. Des centaines d’appartements vides, achetés par qui vous savez, dans des immeubles construits par qui vous savez, attendent d’être occupés un jour… quand Kénitra multipliera par 4 ou 5 sa population. Je sais que nous avons une démographie galopante mais même si c’était « Voir Kénitra et mourir », ce n’est pas demain la veille !
Les règles de prospect, dans certaines ruelles, sont largement violées tout comme celles qui prévalent pour les espaces verts, le paysage urbain, les parkings…La ville du maréchal Lyautey est devenue une jungle où une bonne partie de confrères sans scrupules et au rabais font le bonheur de quelques promoteurs tout heureux d’avoir ces architectes corvéables à souhait et payés en monnaie de singe pour les résultats que nous connaissons. Ceux qui veulent faire du bon boulot et être payé en conséquence, souffrent.
On me dit qu’il y a un autre plan d’aménagement en cours, alors je retiens mon souffle. Peut-être qu’on passera à des gratte-ciels de 50 ou 60 étages. Qui sait ?
La loi est ainsi faite que n‘importe quel hurluberlu investi de la mission de faire un plan d’aménagement (PA) peut déraper au gré de ses humeurs. Pire encore, une fois celui-ci homologué, c’est la Bible ! Même s’il y a des erreurs, des empiétements, des voies qui ne seront jamais réalisées puisque les espaces prévus à cet effet sont construits et habités depuis des lustres, le sacro-saint PA reste parole d Evangiles. Rien ne peut être remis en question.
Alors subissons ! Dans la joie et la bonne humeur !
El Montacir Bensaïd
Architecte
Paru dans CDM Chantiers du Maroc n°178 – Décembre 2019