La formation et le mode de la construction sont aujourd’hui impactés par trois faits majeurs :
L’avènement du BIM et les attentes des maîtres d’ouvrage pour une approche technique performante qui va les accompagner jusqu’à l’exploitation.
Les transitions numériques, énergétiques, écologiques qui vont donner des orientations fortes à la conception et des attentes dans la connaissance, compétences et engagement
La formation professionnelle est fortement impactée par une réforme qui veut donner un élan à l’insertion pour tous.
La réalité du terrain dans le déroulement des actions de conception et l’évolution des pratiques, nous interpellent elles, sur des faits autres, que l’on aborde peu ou pas dans la formation, cursus initial ou professionnel :
- Une démarche collaborative peu inspirée des méthodes de la co-ingénierie en industrie, centrée exclusivement sur l’usage et la maîtrise d’un outil
- Une approche des transitions qui ne se nourrit pas des usages et de la compréhension des modes culturels et engage les acteurs vers une responsabilité sociétale,
- Des méthodes de programmation (PERT, GANT) qui restent sur une activité prescrite et intègrent peu des variables liées aux connaissances de l’homme au travail et aux organisations dans une approche globale, systémique,
- Une conception et une recherche de la créativité qui a intégré les obligations (loi sur le handicap) qui intègre les évolutions normatives (RE, acoustique, environnement…), mais qui ne projette pas encore les exigences d’adaptabilité du bâti avec les évolutions des modes de vie, voulus ou subis (intergénération, co-location, cohabitation, vieillissement, télétravail, soin à domicile, horaires décalés…),
- Les incidences de et sur l’organisation du travail sur le terrain dans sa confrontation avec le process de construction et la volonté exacerbée de gain par des démarches LEAN, qui écartent la compréhension des variables et les intelligences mises en jeu par les opérationnels dans l’exécution,
- Un écart culturel et social fort entre la maîtrise d’œuvre de conception et la maîtrise d’œuvre de réalisation qui au-delà de l’apprentissage et la pratique des outils, souffre des difficultés de communication, de reconnaissance, de crédibilité et le partage des savoirs.
Cette réflexion sur la formation nous invite à questionner l’ensemble des acteurs de la chaîne de formation et de la conception.
Les acteurs de la formation initiale se concentrent aujourd’hui sur l’appropriation par leurs apprenants de la maquette numérique. Si la facilité de trouver et d’échanger des informations métrées validées est un atout pour l’immersion dans l’approche numérique, l’intervention de la maîtrise d’exécution s’appuie sur la prise de notes, de photos, d’ajout de commentaires sur du support papier, mais très rarement une prise de décision de modification sur le support lui-même. D’une part l’absence d’outil disponible (type tablette) et d’autre part la relation avec le concepteur dans sa conception « de propriété intellectuelle », pèsent sur une adaptabilité et opérationnalité des échanges et sur la maîtrise des informations techniques.
Les orientations souhaitées par les acteurs de la maîtrise d’exécution se portent sur des organisations de réunions de chantiers qui ne soient pas simplement des revues de projet avec des temps de partage et de confrontation toujours trop courts. Des temps qui permettent de conduire et d’exprimer les visions différentes sur la gestion des choix de conception. La maîtrise d’exécution par son expérience sur les interventions en exploitation peut donner à l’équipe de conception un regard différent tant sur l’usage fait par l’utilisateur final que sur les attentes d’une adaptabilité de l’espace/bâti conçu tout au long de la vie de cet utilisateur final.
La capacité qu’aura la maîtrise d’exécution à donner des éléments d’usage doit enrichir la maquette numérique et l’approche conceptuelle de la maîtrise de conception. Pour cela la formation (comme l’organisation d’un chantier) doit permettre plus de rencontres entre ces différents acteurs sous forme de REX (Retour d’Expérience : nuance de la mission OPC) avec la participation y compris des fournisseurs de logiciel, de Maîtres d’ouvrage et de représentants de maîtrise d’usage ou de disciplines de sciences sociales/humaines (ergonome, sociologue…).
Les contours donnés aux démarches AFEST par la nouvelle loi de la formation professionnelle pourraient inspirer une structuration de ces rencontres sur des situations de terrain pour être au plus près d’une situation « d’activité réelle ». L’organisation de la chaîne de conception et d’exécution doit prendre une autre dimension qu’une cohabitation de données techniques, de compilation d’expertises et d’insertion sur une maquette propriété d’un acteur « mandataire ». Le partage collaboratif est souvent lié à l’insertion qui est une garantie de faisabilité, mais là encore, nous pouvons envisager dans l’apprentissage de cette démarche des marges de progression qui dépasse largement la délégation à la responsabilité d’un BIM manager. Les enjeux liés aujourd’hui aux exigences de résultats sur la performance globale nous invitent à donner place aux simulations préalables et à l’intégration dans celles-ci des variables liées aux usages de l’utilisateur final et de l’évolution des modes de vie.
Pour cela les formations initiales pour la maîtrise d’œuvre de conception devront intégrer l’apprentissage de la démarche participative, de l’analyse des usages. Les usages dans une démarche participative doivent dépasser le recueil de données (avis) et se centrer sur l’analyse réelle avec des « confrontations » sur les perceptions et compréhensions de la traduction de cette analyse.
Les écarts culturels et la compréhension de la réalité du travail dans ses exigences d’exécution pourra se confronter, si des échanges s’organisent entre les niveaux d’enseignement et leur spécificité. La participation d’apprentis à un cours d’architecture lors de workshop, à des travaux dirigés pour des enseignements en ingénierie du bâtiment et inversement des participations/rencontres avec les apprentis sur des situations de chantiers pour les architectes et ingénieurs permettront d’appréhender mieux les contextes de représentations et leurs priorisations. Les enjeux du process construction et sa programmation ont une influence forte sur les organisations du travail. La maîtrise d’exécution fait elle appel à son expertise et à ses savoirs faire de prudence pour répondre aux exigences de production, mais la non prise en compte de facteurs humains dans les outils/méthodes (PERT GANT LEAN) ne permet pas une régulation, crée un écart dans la compréhension des engagements mutuels et des tensions entre les parties.
L’offre immobilière doit aussi intégrer les enjeux de l’usage et l’adaptabilité tout au long d’une vie. Cela dans la compréhension d’enjeux économiques, intergénérationnels, sociologiques. Pour cela il sera aussi pertinent de permettre des rencontres entre l’ensemble des prescripteurs, des représentants d’usagers et des experts de l’accompagnement de projet au travers de REX sur l’approche systémique. Celles-ci permettront de ne plus segmenter l’organisation urbanistiques , architecturales avec « des intérêts claniques ».
Un article signé Jean Luc Reinero – dirigeant Rainbow Ergonomie et Vice Président en charge des régions auprès de la Fédération CINOV
Article publié sur C21 France
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