Interview Abdelmajid Choukaili, Président AXING
Quelle a été la genèse de l’AXING ?
Abdelmajid Choukaili : La genèse de ce mouvement est ancienne. A l’origine, il y a plus de vingt ans, c’était la volonté de formaliser le titre d’expert, qui n’a aucune définition légale au Maroc. De ce fait, il est galvaudé et n’importe qui peut se proclamer impunément expert. Ensuite, les nombreux effondrements d’immeubles, qui se multiplient depuis les années 90, ont rendu impérieuse, la structuration de l’ensemble des intervenants du secteur des BTP. Enfin, les grandes inquiétudes suscitées par la dernière loi 66-12 sur la répression des infractions d’urbanisme, ont soulevé le problème des compétences à juger de la conformité de la conception et de l’exécution des constructions.
En complément à l’organisation depuis seulement 2015 des géotechniciens (SMG), des laboratoires de Génie-Civil (AMLEC), des bureaux de contrôles (AMBC) et le regroupement de l’ensemble de ces intervenants dans la fédération des Essais et du Contrôle (FEDEC), la création de l’Association des Experts Ingénieurs (AXING) vient compléter ce dispositif. Elle répond à un quadruple objectif, sur la base d’une définition simple, claire, vérifiable et opérationnelle de l’Expert :
C’est un diplômé universitaire (ingénieur ou équivalent) ayant une longue expérience pratique de projets concrets, ayant exercé sans interruption pendant au moins vingt ans, dans son domaine de formation.
Quels seront les grands chantiers que traitera l’AXING ?
A.C : Il convient de rappeler d’abord, les quatre objectifs de l’association :
– Offrir une plate-forme de véritables experts qualifiés, assistant les investisseurs, l’Administration, les Promoteurs, les entreprises et les Maîtrises d’œuvre, dans la rationalité de la conception, de l’exécution et du diagnostic des éventuelles malfaçons, ainsi que la prévention des effondrements des ouvrages, qui deviennent de plus en plus fréquents
– Constituer un cadre d’arbitrage technique, entre les parties impliquées dans les projets, soit sur des options économiques et sécuritaires, soit sur des oppositions d’intérêts divergents entre intervenants, Promoteurs et Acquéreurs
– Lutter contre le grand désordre d’avis aléatoires de nombreuses personnes, s’autoproclamant experts sans qualifications universitaires, ni expériences scientifiques et techniques avérées
– Lier langue avec les départements concernés de l’Administration, pour évoluer vers un véritable Ordre des experts, dont l’instauration s’avère, au fil des effondrements ou des désordres constatés, de plus en plus impérative.
Le paysage de la construction au Maroc constitue aujourd’hui un environnement favorable à cette initiative : les effondrements à répétition, les polémiques permanentes sur la conformité des travaux, la loi 66-12 à caractère coercitif, adoptée à l’été 2016, exigent des diagnostics sûrs, épaulant Architectes, BET, BCT et autres entreprises, voire même les tribunaux, dans la prévention des sinistres et la clarification des véritables causes et contextes techniques, technologiques et scientifiques, d’apparition des désordres dans les constructions. Ceux-ci sont à ce jour traités de façon partielle, aléatoire et souvent désinvolte.
L’atteinte des quatre objectifs de l’AXING que je viens d’énumérer, nécessite une action soutenue en direction des intervenants dans l’acte de bâtir d’une part ; et des divers départements de l’Administration (SGG, Ministères de l’Équipement, de l’Habitat et de l’Industrie). La tâche sera rude, à la mesure des enjeux qui conditionnent le développement économique de l’ensemble du secteur des BTP.
Le deuxième grand chantier est la contribution à la réorganisation de l’ensemble du secteur de la construction, qui a été initiée à partir de 2015 avec la création de l’AMLEC, association des laboratoires et de la SMG des géotechniciens. L’AXING est le chaînon manquant du dispositif organisationnel actuel. Des pourparlers sont déjà en cours avec l’Association des Architectes Experts, pour la création de la fédération des Experts. Il est évident que le rapprochement de ces entités avec la FNBP, la FMCI, la FMC et la FNP sera un pas décisif dans la rationalisation de l’ensemble du secteur de la construction, dans son intérêt économique d’abord et celui, plus large, de notre pays.
Il convient de considérer aussi que, malgré l’effort de quelques-uns de ses acteurs, le niveau de la construction reste encore, à bien des égards, à un niveau relativement bas. Les moyens de construction sont généralement rudimentaires et beaucoup des solutions conceptuelles ou d’exécution proposées, sont encore archaïques. C’est pourquoi beaucoup d’intervenants restent perplexes dès qu’il s’agit, par exemple, de creuser plus de deux sous-sols, ou quand on rencontre une nappe phréatique. A l’exclusion du Twin Center à Casablanca qui compte 27 étages (105 m), on a de grandes difficultés à réaliser des constructions de plus de 20 étages (60 m).
Aujourd’hui, le Maroc a l’ambition de construire la plus grande tour d’Afrique (230 m de hauteur). La plate-forme d’experts ingénieurs chevronnés de grande expérience, qu’offre l’AXING, appuiera le saut qualitatif, la modernisation et le développement technologique indispensables du secteur des BTP. C’est l’un des chantiers qui attend l’AXING, qu’elle affrontera par le biais de la pédagogie, de la formation, de l’Assistance technique et même de l’implication directe dans l’établissement et le suivi des projets.
Comment souhaitez-vous faire évoluer l’AXING ?
A.C : Ainsi que l’avait soutenu le livre blanc de la Communauté européenne des années 1980 sous l’égide de Jacques DELORS, à la suite de la théorie économique de SCHUMPETER, le développement économique est conditionné par le lancement de grands projets d’infrastructure. Les années 1990 et 2000 ont pris l’option inverse des produits financiers, qui ont conduit aux grands désordres mondialisés et à de sévères crises, dont la dernière est celle de 2008. Fort heureusement, notre Royaume est engagé, depuis l’avènement de Sa Majesté MOHAMMED VI, dans l’option du développement par le biais des grands projets (Autoroutes, TGV, réaménagements urbains, télécommunications, etc.). C’est une opportunité inouïe pour le secteur des BTP, que l’AXING est évidemment amenée à accompagner et à encadrer. L’AXING évoluera donc en tant qu’appui indispensable aux intervenants dans l’acte de bâtir, en y apportant ses compétences multidisciplinaires et l’incontestable expertise de ses membres. L’AXING est donc un acteur fondamental pour faire évoluer l’ensemble du secteur vers sa modernisation, son efficience et son adéquation avec les technologies à haute valeur ajoutée.
Quel sera le rôle de l’AXING dans la dynamique d’investissement massif en Afrique ?
A.C : Il ne convient pas de poser la question au futur. Au moins 25 % des membres fondateurs de l’AXING sont d’ores et déjà les éclaireurs techniques, en Afrique et au Moyen-Orient, des investisseurs marocains. Ils sont déjà partenaires dans des projets en Guinée, en Mauritanie, en côte d’Ivoire, au Tchad, etc. Nous comptons évidemment renforcer ces interventions aux côtés de nos confrères des BET et des Entreprises.
Les acteurs économiques qui œuvrent à l’export (Entrepreneurs, Banquiers, Assureurs, Administration) savent que leur action sera vaine, sans disposer d’experts ingénieurs à haut niveau de performance. La vocation évidente de l’AXING est d’accompagner les efforts d’investissement des grandes institutions financières et entrepreneuriales, au Maroc bien sûr et à l’export fort évidemment ».
Paru dans CDM Chantiers du Maroc n°151 – Juin 2017