Interview Rachid CHRIQI, Responsable technique
du programme Hammans Durables
Avant d’entamer le programme ‘’Hammams durables’’, vous vous êtes basés sur quelles études ou statistiques ?
Rachid Chriqi : Devant les nombreux enjeux qui l’entourent, le secteur des hammams est, depuis plusieurs années, un sujet de préoccupation des acteurs de la solidarité internationale au Maroc. Dès les années 90, une étude menée par le GERES sur ce secteur a servi de base à la mise en œuvre d’un projet de dissémination de chaudières améliorées conduit par le Centre de Développement des Energies Renouvelables (CDER) du Maroc (devenu depuis l’ADEREE – Agence nationale pour le Développement des Energies Renouvelables et de l’Efficacité Energétique). Ce modèle de chaudière, identique pour chaque hammam, a été distribué au nombre de 150 entre 2003 et 2007.
Ce projet a donné les résultats suivants :
– La température des fumées rejetées (sortie cheminées) est passée de 170-300°C à 120 à 180°C;
– La température des fumées à la sortie de la chaudière est passée en moyenne de 500°C à 386°C;
– Le rendement énergétique sur eau est passé de 28-40 % à 30-50 %;
– La concentration en CO dans les fumées rejetées est passée en moyenne de 4500 PPM à 2300 PPM.
Cependant, le modèle développé et disséminé par le CDER n’était pas adapté aux caractéristiques intrinsèques de chaque hammam. Ainsi, le rapport d’évaluation finale du projet CDER notait en 2008 :
« La chaudière améliorée CDER n’est pas adaptée aux différents types de hammams. Les chaudronniers agréés ne disposent pas des équipements et outillage adaptés. Les fernatchis n’ont pas été réellement formés à la conduite de la chaudière. Aucun dispositif de contrôle de qualité et d’amélioration continue des chaudières n’a été mis en place. Le Maroc manque d’expertise de haut niveau en matière de conception de chaudières à bois. »
Les discussions avec les PEH ont aussi pointé de sévères problèmes associés à la maintenance et à la résistance des chaudières en question. Ceci a conduit à une certaine insatisfaction des PEH ayant investi dans ces nouveaux modèles qui les a amenés, pour certains, à revenir aux modèles traditionnels.
Face à ces échecs, les organisations GERES et EnSEn ont proposé au Fonds Français pour l’Environnement Mondial (FFEM) un nouveau programme intitulé « Hammams Durables au Maroc » (HDM). La différence fondamentale entre l’approche développée par le CDER et celle sur laquelle repose le programme HDM réside dans l’aspect adaptatif des rénovations proposées par le consortium GERES/EnSEn.
Concrètement, comment allez-vous procéder sur le terrain pour effectuer votre programme ?
R.C : « Le programme HDM s’est fixé pour objectif principal de permettre un accroissement significatif de la performance énergétique et environnementale des hammams au Maroc.
De manière plus spécifique, cet objectif se décline en trois points :
I. Diminuer la consommation et les coûts énergétiques ;
II. Réduire la pollution locale et la production de gaz à effet de serre ;
III. Diminuer la consommation d’eau.
A ces objectifs spécifiques se sont aussi ajoutées d’autres dimensions, plus difficilement mesurables car plus indirectes mais importantes aux yeux du consortium, telles que la lutte contre la déforestation, l’amélioration des conditions de vie des employés (fernatchis principalement) ou la pérennité du secteur des hammams.
Pour mettre concrètement ces objectifs en œuvre, le programme HDM prévoit cinq activités principales :
1. Développement d’une offre de services : l’offre de services proposée par le programme repose sur cinq solutions que sont (i) le préchauffage de l’eau par installation solaire thermique ou (ii) par récupération de chaleur sur les eaux usées, (iii) une meilleure isolation de la tuyauterie, (iv) une instrumentation de la température de l’eau par l’installation de ballons de stockage et (v) des traitements anticalcaire.
2. Soutien à des projets de rénovation via la mise en place d’un fonds de roulement : ce fonds consiste en l’octroi de « prêts sur l’honneur » aux PEH – prêts à taux zéro sous forme de cofinancement accordés aux PEH sous condition d’un apport personnel de leur part.
3. Suivi et évaluation du programme : ceci se traduit par (i) le recrutement d’un coach international qui accompagne et oriente le programme du démarrage à la conclusion, (ii) le suivi des rénovations effectuées par l’équipe projet et (iii) la réalisation d’évaluation à mi-parcours et finale du programme.
4. Dissémination des résultats : elle regroupe l’ensemble des activités de communication visant à faciliter une meilleure connaissance du programme au niveau local, mais aussi au sein d’évènements internationaux tels que la COP22 qui a eu lieu à Marrakech en novembre 2016. Le projet HdM a été labélisé COP22.
5. Réalisation de projets de réplication : cette activité se traduit par une volonté du programme d’être en capacité d’atteindre un effet multiplicateur de 5 d’ici à 2017 se traduisant, dans les faits, par quatre rénovations engagées pour un hammam rénové et accompagné par le consortium GERES/EnSEn ».
Avez-vous prévu un label ‘’Hammams durables’’, pour ceux dont les conditions répondent à celles établies par votre programme ?

R.C : L’équipe Hammams Durables Maroc propose des solutions éprouvées et il y a une campagne en cours de monitoring de tous les hammams rénovés pour valider l’ensemble des propositions (économie d’énergie, les émissions des GES évités, etc.). Par la suite une expertise internationale à travers un cabinet de certification sera mobilisée pour auditer et valider ces résultats. Avec les partenaires institutionnels, nous avons déjà initié une réflexion commune comme mettre en place un label éco-Hammam ou Hammams Durables. D’ailleurs, dans le cadre de ce projet, nous avons travaillé en parallèle sur tous les aspects liés à la gouvernance du secteur des Hammams au Maroc (Juridique, environnemental, économique et social) en plus des aspects culturels ».
Techniquement, quelles alternatives proposez-vous aux propriétaires de hammams, pour remplacer le bois ?
Étude technique
Nous identifions les possibilités d’économies lors d’une visite gratuite. Notre équipe technique établit alors un diagnostic précis de l’installation et propose au propriétaire et/ou exploitant du Hammam des solutions adaptées à ses besoins.
Aide à la rénovation
Le consortium GERES/EnSEn accompagne le propriétaire et/ou exploitant du Hammam dans la mise en œuvre de la solution technique qu’il aurait choisie. Nous assurons la maitrise d’œuvre du projet de rénovation (la mise en relation avec des fournisseurs compétents et le contrôle la qualité des travaux).
Aide au financement
Pour financer ces travaux, Hammams durables peut avancer au PEH de l’argent qu’il remboursera grâce aux économies réalisées après les travaux.
Pour la rénovation des Hammams, nous proposons 6 moyens d’actions, qui peuvent se combiner selon les besoins.
La solution proposée se passe de l’utilisation du bois car les chaudières proposées utilisent de la biomasse (grignon d’olives, coques d’argan, pellet, etc.) comme combustible.
Paru dans CDM Chantiers du Maroc n°153 – Août-Septembre 2017