À l’heure où le Maroc accélère ses grands chantiers d’infrastructure, une rencontre entre professionnels du bâtiment vient rappeler que la transformation numérique du secteur ne relève plus du futur, mais bien du présent. Portée par Robobat, en partenariat avec Graphisoft et le Conseil National de l’Ordre des Architectes (CNOA), la journée de réflexion organisée à Casablanca s’est voulue un moment de décantation : où en est réellement le BIM dans les pratiques ? Et que peut-on en attendre à l’ère de l’intelligence artificielle ?
Sous l’acronyme désormais familier de BIM (Building Information Modeling), il ne faut plus voir un simple outil de modélisation, mais une mutation profonde du travail collectif dans le secteur de l’architecture, de l’ingénierie et de la construction. Cette approche repose moins sur la technologie elle-même que sur une manière nouvelle de concevoir, partager, et décider à plusieurs, autour d’une donnée unique, centralisée, vivante.

Soufiane Smaili, CEO de Robobat a souligné un paradoxe encore tenace : « Aujourd’hui, les professionnels échangent, mais conservent jalousement ce qu’ils savent. » Le BIM vient casser cette logique d’îlots. Il implique le passage d’une culture de la propriété à celle de la responsabilité collective. Une métamorphose qui ne va pas sans résistances.
Car les défis sont nombreux. D’abord, celui de l’équipement technique : à peine 5 % des professionnels déclarent aujourd’hui travailler en environnement cloud, pourtant indispensable à la logique de partage. Ensuite, celui de la méthode : passer au BIM ne consiste pas seulement à acquérir un logiciel, mais à repenser la chaîne de travail, à redéfinir les rôles, à synchroniser les rythmes. « C’est un sport d’équipe, comme l’aviron », glisse Smaili. L’image est parlante : sans coordination, chacun rame dans son sens et le projet tourne en rond.
Les avantages du BIM, eux, sont bien identifiés : réduction des erreurs, des délais et des coûts, meilleure anticipation des risques, prise de décision appuyée sur des données factuelles. En somme, un levier d’efficacité et de rentabilité dans un secteur où chaque imprévu a un coût.
Mais ce qui a sans doute marqué les esprits durant cette journée, c’est l’irruption de l’intelligence artificielle dans le débat. Encore perçue comme un horizon lointain pour beaucoup, elle s’invite désormais dans les logiciels, les simulations, les variantes de conception, les arbitrages techniques. À condition d’être pensée non comme une fin, mais comme un outil au service de l’humain, du maître d’ouvrage à l’usager final.
Derrière ces avancées, une ambition se dessine : celle de bâtir un écosystème professionnel capable de dialoguer. De sortir du réflexe du cloisonnement pour entrer dans celui de la coopération intelligente. Le rôle du CNOA, à ce titre, est crucial : accompagner, former, structurer les usages sans les figer.
Le BIM, en ce sens, n’est pas un logiciel. C’est un nouveau langage commun pour les bâtisseurs du XXIe siècle. Et comme tout langage, il exige apprentissage, pratique… et un désir sincère de se comprendre.