A.N : Pourquoi ne pas parler de la marge bénéficiaire de ceux qui vendent le produit fini réalisé par un architecte. Les honoraires pratiqués chez nous sont ridicules par rapport aux services offerts par l’architecte. Personnellement, je crois que le niveau des honoraires n’augmentera que si l’on fait en sorte que les instances de l’ordre soient une force de propositions dans tous les domaines et notre profession peut offrir beaucoup au développement de notre Pays. A partir de là je n’aurais plus besoin de demander mes honoraires, ils seront automatiquement régulés. Aujourd’hui, des promoteurs professionnels ne lésinent pas sur les honoraires quand l’architecte joue pleinement son rôle. De toute évidence, l’architecte est jalousé pour ses honoraires mais a-t-on fait une description des coûts de sa mission et compté réellement le nombre d’architectes qui vivent bien de l’exercice de leur profession : ils ne dépassent pas les 10% au niveau national. Et malgré cela, l’architecte est l’objet de convoitises en tant que conseiller bénévole en tant que citoyen participant au développement de son pays par l’assistanat architectural au risque d’être privé de sa liberté.
On participe à l’évolution de notre pays à 100% et on peut éviter les erreurs que l’on a vues dans notre urbanisme, dans notre gestion communale, dans tout ce qui fait que le cadre de vie de nos citoyens. Les architectes peuvent apporter beaucoup si on les laisse apporter ce beaucoup automatiquement et tout le secteur sera tiré vers le haut. Alors automatiquement les honoraires devront aussi vont évoluer, et ce, par rapport à la qualité du travail rendu car c’est une valeur ajoutée apportée au maître d’ouvrage.
On fait appel à l’architecte juste pour obtenir une autorisation de construire et tout le monde est perdant. A l’époque, quand j’étais président, au début des années 2000, il était question de faire avec les associations des promoteurs immobiliers une convention pour que les honoraires soient acceptés par tous les promoteurs afin de mettre en place une mise à niveau des relations promoteurs/architectes. On était arrivés à un consensus car les promoteurs se plaignaient de certains architectes qui ne faisaient pas leur mission et nous de certains promoteurs qui ne respectaient pas les règles d’éthique les plus élémentaires. Malheureusement il n’y a pas eu de suite. Un contrat avec des honoraires minimum a commencé à être appliqué par la profession mais face aux lobbies cela n’a duré que 3 ans. Cette loi-ci, plusieurs ministres l’ont laissée dans les tiroirs pour ne pas bloquer la machine. Mettre à niveau le secteur c’est le rêve de l’architecte car c’est d’abord lui qui vit et subit les conséquences de l’ignorance de l’incompétence et de l’appât effréné du gain de «moualine chkara «
Nous voulons l’application de cette loi, bien sûr, en prenant en compte des amendements de la part de tous les intervenants. Cependant, il faut savoir que le coût des travaux va passer au minimum du simple au double surtout pour les 70% des réalisations au profit des catégories socioprofessionnelles les plus démunies que l’Etat essaie de reloger et de la classe moyenne qui essaie de réaliser son propre logement. La qualité et la sécurité, on doit y arriver mais il y a une refonte de la société étape par étape..
Aujourd’hui, que peuvent corriger les décrets d’application ?
A.N : Pour les décrets d’application, il faut définir, d’abord, ce que sont les modifications en cours de travaux ? Lors de la réalisation d’un projet comme celui d’une villa par exemple, le client, au cours des travaux est amené à désirer certains changements car il a une meilleure visibilité du projet final. Un architecte et un maitre d’ouvrage, forment un couple qui réalise un projet qui peut changer en cours de travaux. Dès lors, la nouvelle loi exige que je dénonce aux autorités mon client qui risque la prison ! Faute de quoi nous devenons des complices. Ce qui prouve l’immaturité et l’amateurisme des personnes qui ont écrit cette loi et qui ne comprennent pas comment fonctionne un chantier de construction.
Donc, les décrets d’application vont jouer sur la nature de la modification ?
A.N : Oui, tout à fait, espérons-le. Car il faut que ceux qui ont écrit ces lois comprennent qu’il n’y a aucun projet conforme à 100% à l’autorisation de construire initiale. Il y a également la structure qui peut changer car après mon autorisation de construire, j’ai donné mon plan à un bureau d’études, et on travaille ensemble pour éviter qu’il ne me déforme mon projet. Et puis, il y a la modification intérieure de construire, de conception, et d’amélioration.
Donc, il s’agit là de la gestion des modifications ?
A.N : Oui, avant et après. Quant au contrôle, il est écrit qu’il est fait de manière inopinée. Mais un chantier c’est ma propriété, j’en suis responsable, nul n’a le droit d’y intervenir sans que j’en sois averti, afin que je prenne les dispositions nécessaires pour que cette personne, par respect, ne lui arrive pas un pépin en cours de visite de chantier. Car je suis responsable de la sécurité des personnes qui y entrent.
Même l’administration fiscale avertit en cas de contrôle et nous avons à peine 48 heures pour avertir qu’on a fait une modification et on arrête le chantier. Comment se fait-il que pour expliquer une modification, il faut que j’arrête le chantier pendant 10 jours et sinon ça va partir chez le procureur, etc. Je n’ai jamais vu le fait de nous considérer comme des complices : l’acte de construire ou de bâtir est-il un acte terrorisme ou un crime ?
Donc, ces décrets de modification doivent être impérativement revus ?
A.N : La seule chose qui a été faite en termes de modification est le cahier du chantier, qui est, en quelque sorte, le carnet de santé du bâtiment et que l’Ordre des architectes a mis en place depuis 1992. Nous avions même mis en place une charte de chantiers propres. Nous avons combattu contre l’administration pour pouvoir l’imposer et personne ne voulait garder ce cahier de chantier car c’était un document qui prouvait qui venait dans le bâtiment et qui relatait tout ce qui s’y faisait. C’est un document que le futur acquéreur de l’objet devait avoir et qui devait même rentrer dans le cadre de la copropriété, etc. La meilleure des choses est que tout le monde soit assuré : on n’a pas besoin de contrôle car il n’y a pas mieux que les assurances pour contrôler nos bâtiments. Un assureur ne vous donnera jamais une garantie sur un bâtiment s’il n’est pas conforme aux règles car c’est lui qui va payer en cas de sinistre.
Paru CDM Chantiers du Maroc n°148 – Mars 2017