Le GOMAC est une association scientifique marocaine à but non lucratif, créée en 1989, ayant comme objectifs d’initier le grand public à l’observation et l’identification de la faune sauvage, en particulier des oiseaux, et d’oeuvrer pour la protection du patrimoine naturel marocain, la daya de Dar Bouazza en fait partie
Un reflet salvateur scintillant dans le clair de lune au milieu d’un océan de lumières artificielles, c’est ainsi que doit apparaître, vue du ciel, à plusieurs centaines de mètres d’altitude, la daya de Dar Bouazza à un oiseau migrateur survolant de nuit le littoral marocain. Ces animaux reconnaissent entre mille ce reflet dansant sur l’eau qui est synonyme pour eux de véritable « aire de repos » sur leur route migratoire.
Les zones humides (lacs, lagunes, marais, estuaires,…) sont en effet des lieux de halte migratoire privilégiés en raison de leur richesse en nourriture, de leur abondante végétation et de leur tranquillité. Les oiseaux en ont absolument besoin pour se reposer, s’abreuver et surtout se nourrir afin de reconstituer les réserves de graisse nécessaires à la poursuite de leur voyage. Elles servent aussi de refuges où ces voyageurs s’abritent le temps qu’il faut en cas de mauvaises conditions météo empêchant le vol.
Ces animaux viennent de loin, du nord de l’Europe pour la plupart, parfois de la toundra arctique, où ils se reproduisent en été, et iront passer l’hiver sous les tropiques, dans les pays bordant le Golfe de Guinée et pour certains jusqu’en Afrique australe, soit des trajets de 6000 à plus de 10 000 km de long, avant bien sûr de faire le voyage inverse six mois plus tard !
Les zones humides du littoral sont encore plus importantes que les autres pour la conservation des oiseaux migrateurs puisque beaucoup d’entre eux préfèrent longer les côtes africaines plutôt que de couper à travers le Sahara, option beaucoup plus risquée. Sur les côtes marocaines, de très nombreux plans d’eau ont été asséchés au 20ème siècle : par exemple le Rharb a perdu plus de 90% de ses marais à cette époque. Heureusement quelques belles zones humides jalonnent encore le littoral marocain : les marais du Bas Loukkos, la Merja Zerga, le lac de Sidi Boughaba, le complexe lagunaire de Sidi Moussa-Oualidia, le parc du Souss Massa, la lagune de Khnifiss et la baie de Dakhla sont les principales.
La daya de Dar Bouazza occupe toute sa place dans ce réseau malgré sa petite taille (18 ha) puisque c’est la seule dans la région ! Elle-même n’est qu’une relique d’un plan d’eau beaucoup plus vaste qui s’étirait sur plusieurs km il n’y a encore que 20 ans de cela. Il faut savoir que chaque zone humide qui disparaît allonge la distance moyenne des étapes de nos voyageurs ailés, et ils sont de moins en moins à être capables de boucler des étapes de plus en plus longues.
C’est ainsi que la conservation de quelques zones humides clés, quelque soit leur taille, revêt une importance déterminante pour la survie de populations entières, parce qu’elles sont des zones de passage quasi-obligé pour les oiseaux migrateurs. La daya de Dar Bouazza, idéalement située sur la principale voie migratoire entre l’Europe et l’Afrique, s’inscrit pleinement dans ce maillage de zones humides littorales concentrant les migrateurs : elle revêt donc une importance internationale.
La daya de Dar Bouazza a aussi une grande importance pour les oiseaux locaux : Ainsi, c’est certainement l’endroit du Maroc où il est les plus facile de voir la belle et discrète Talève sultane, une grande poule d’eau bleue à pattes et bec rouges dont les observations relèvent partout ailleurs de la chance. Ici, tôt le matin, elle déambule paisiblement entre les roselières et se laisse facilement observer. C’est aussi un havre de paix hivernal pour la Sarcelle marbrée, oiseau classé « mondialement vulnérable » sur la liste rouge de l’UICN. D’autres canards peu communs au Maroc s’y reproduisent ici régulièrement, tels le Fuligule nyroca ou la Nette rousse. Les Ibis falcinelles viennent s’y nourrir par dizaines. En tout, ce sont plus de 180 espèces d’oiseaux qui ont été observés sur ce site par le GOMAC, soit la moitié des espèces d’oiseaux présentes au Maroc !
Si la daya de Dar Bouazza est si riche, c’est parce qu’elle est bien plus qu’un simple étang : c’est une mosaïque de milieux différents rassemblés sur ces 18 ha, si bien que chaque espèce y trouve son compte : foulques et canards occupent les surface d’eau libre, les petits échassiers (bécassines, bécasseaux, gravelots) se rencontrent sur les vasières, chevaliers et échasses haut perchées sur leurs frêles pattes roses en eau peu profonde, râles et marouettes dans les roselières, le Blongios nain, un minuscule petit héron, dans les massettes, alors que les sternes, mouettes et goélands occupent l’espace aérien.
Vu son importance pour la biodiversité, le GOMAC et d’autres associations (Dar B’Na, GREPOM) s’investissent sans relâche dans la protection de ce sanctuaire naturel.
Bien évidemment, il n’y a pas que pour les oiseaux que les zones humides sont importantes. Malheureusement, on ne s’aperçoit généralement de leur utilité que lorsqu’elles ont été drainées, asséchées puis bétonnées. On assiste alors à des inondations, ou au contraire à des pénuries d’eau, des glissements de terrain, un recul accéléré du littoral et d’autres catastrophes environnementales impactant gravement les populations humaines….
C’est que ces zones humides sont de véritables éponges naturelles qui absorbent des quantités d’eau phénoménales lors des épisodes de fortes précipitations, protégeant les riverains des inondations.
À l’inverse, en période de sècheresse, elles restituent cette eau très progressivement, et se trouvent alors d’une grande utilité pour toutes sortes d’usages : élevage, agriculture,… Cette capacité de stockage d’eau douce est primordiale dans un pays semi-aride comme le Maroc. Elles se révèlent aussi d’une grande utilité dans l’atténuation des changements climatiques. Lors des épisodes météorologiques extrêmes qui sont amenés à se multiplier, elles jouent un rôle tampon et limitent l’érosion du littoral en le maintenant en place grâce au réseau racinaire dense de leur abondante végétation. Cette dernière est aussi un véritable puits de carbone contribuant à limiter le réchauffement climatique.
La daya de Dar Bouazza revêt une importance toute particulière dans la zone très urbanisée de Casablanca : C’est un des derniers espaces verts naturels où la population locale aime se retrouver, se promener, se détendre, faire du sport, s’extraire un moment de la vie urbaine. Ce poumon vert de la région a également un grand intérêt éducatif : il reçoit chaque année la visite de nombreux scolaires des établissements de Dar Bouazza et de Casablanca, qui viennent y étudier sa riche biodiversité et les interactions entre les êtres vivants et leur milieu. Ces visites permettent aux jeunes citadins de maintenir
un lien fort avec le monde vivant et d’appréhender à la fois sa richesse et sa fragilité.
Il est facile de détruire un écosystème mais il est impossible de le reconstruire. Nous dépendons tous de l’eau, Hommes comme Oiseaux : Gérons avec responsabilité et sagesse la Daya de Dar Bouazza ainsi que toutes les zones humides qui maintiennent notre pays vivant !
Par MBT
Groupe d’ornithologie du Maroc
Paru dans A+E Architecture et Environnement au Maroc N° 12 – Décembre 2018